Catherine Zask a assuré la conception graphique d’Astérisque dès l’origine. Engagée dans l’élaboration et le suivi de l’identité visuelle de la Scam depuis 1993, c’est elle qui a suggéré le titre du périodique. Michel Wlassikoff revient sur les principales étapes de cette collaboration, éclairant les partis pris originaux qui la soutiennent. Par Michel Wlassikoff, historien du graphisme. Pour la lettre Astérisque n°67 (septembre 2021)

Catherine Zask est née en 1961. En 1984, elle est diplômée de l’école Penninghen, où elle a bénéficié de l’enseignement de Roman Cieslewicz et de Peter Knapp. Elle crée son propre studio en 1986. Une de ses premières commandes d’importance concerne l’Université de Franche-Comté (1985-1995), où elle est responsable de l’ensemble de la communication visuelle. « Créer des documents qui rendent l’institution lisible », telle est sa philosophie, tout particulièrement pour l’identité d’organismes culturels au fonctionnement complexe et aux prérogatives multiples. Dès la sortie de Penninghen, elle s’est fixé une ligne de conduite : œuvrer de préférence dans le champ culturel en privilégiant « les aventures qui durent des années », de manière à approfondir ses réponses selon l’exigence qui la caractérise.

En 1993, elle obtient une résidence à la Villa Médicis à Rome – elle est la première graphiste à en bénéficier –, ce qui lui permet de développer ses études autour du tracé, du signe, de l’écriture qu’elle poursuit depuis dix ans déjà, car elle a toujours mené des recherches personnelles, expérimentales, à côté de ses travaux de commande. Jean-Marie Drot est alors directeur de l’Académie de France à Rome, écrivain et documentariste engagé, pionnier de la télévision française, défenseur infatigable du service public et de la qualité des programmes, membre fondateur de la Scam, il apprécie particulièrement l’exigence et la nature artistique de la démarche de Catherine Zask. C’est par son intermédiaire qu’elle obtient une première commande de la Scam : créer les cartons d’invitation à des projections de films documentaires, Les débats de la Scam. Elle souhaite mettre en valeur « l’homme à la caméra », le réalisateur, « parce que c’était le regard du cinéaste que je voulais privilégier, l’acte de filmer ». À cet effet elle demande à l’artiste japonais Kenji de réaliser une série de bas-reliefs représentant cette figure, qui illustrent chaque invitation au verso. Une manière d’intervention graphique très libre qui inaugure de nombreuses autres séries tout aussi riches d’inventivité, sollicitant d’autres créateurs ou introduisant ses propres dessins, ou encore purement typographiques mais toujours selon un principe original qu’elle imagine.

Une des séries les plus célèbres est probablement celle réalisée à l’occasion de la parution du Manifeste pour le documentaire, en 1996. Les invitations aux soirées de la Scam se présentent sous la forme de quatorze imprimés qui se déplient en affiches, constituant une suite de « coups de gueule » en faveur des auteurs et des créations. « La série va du jaune au rouge, comme on s’empourpre de colère », souligne-t-elle. Elle puise dans les nombreux textes publiés en défense du documentaire pour en extraire des manières de slogans, composés dans une typographie de titrage percutante dont elle accentue la force en « créant des frictions entre les lettres ». Il s’agit du caractère Block (devenu mondialement célèbre par son emploi dans l’expression « Je suis Charlie ») peu usité à l’époque mais que la graphiste avait intégré durant ses études : « Il a fallu une question fortuite, bien plus tard, pour que je me rende compte que j’avais passé un an à travailler avec la typographie fétiche de Roman Cieslewicz, qui était mort cette année-là. » Le succès des invitations, de leurs traitements originaux et de leur renouvellement, constitue le point de départ de toute la communication visuelle de la Scam et d’une collaboration qui n’a pas cessé depuis.

Le travail sur l’identité visuelle commence en 1995. À cet effet, Catherine Zask entretient un dialogue direct et fructueux avec Eve-Marie Cloquet, directrice de l’action culturelle et Stéphane Joseph, alors son assistant. Dans un courrier qu’elle leur adresse, la graphiste affirme ses principes : « La Scam produit une quantité importante de documents imprimés, d’aspect visuel disparate et de qualité graphique inégale. Elle ne dispose pour sa communication visuelle d’aucun système d’identification graphique. Je suis convaincue de la nécessité de mettre en place un tel système qui garantirait une cohérence visible de l’ensemble des publications, et assurerait une esthétique générale de qualité. »

Les bases de l’identité visuelle sont définies à partir d’un constat élémentaire : « Comme j’avais du mal à comprendre exactement ce qu’était la Scam, ma préoccupation a d’abord été d’installer un système qui éviterait aux destinataires des documents publiés de se trouver dans le même embarras. Parce que la Scam n’est pas expliquée par les mots qui la désignent, il me semblait important que l’image graphique contienne la nécessité d’expliquer. J’ai composé “Scam“ comme un nom plutôt qu’un sigle, en utilisant le caractère Bauer Bodoni qui avait été introduit par les deux premières séries d’invitations. Puis je lui ai associé l’astérisque, qui par nature indique un renvoi, et c’était là mon objectif : DIRE (exprimer, expliquer, affirmer, raconter, annoncer, recommander, conseiller, définir, clarifier), bref, utiliser des mots et du texte pour permettre à chacun, facilement, d’entrer dans l’institution en l’ayant comprise. C’est comme ça qu’est né le “non-logo-garde-fou“ Scam*, avec son astérisque incontournable qui crie sans cesse : “Explique-moi ! Sois clair ! “. La dernière constante pour tous les documents édités par la Scam est la couleur : un éventail qui va du jaune au rouge carmin. L’image de la société associe donc la netteté de la typographie, la clarté des idées et la gaieté des couleurs. »

Depuis les débuts de la collaboration de Catherine Zask à son image, la Scam s’est sensiblement développée et ses initiatives ont beaucoup évolué. Disposant de locaux en propre depuis le début du nouveau siècle, les rencontres qu’accueille son auditorium se sont singulièrement accrues, de même que les manifestations et événements auxquels elle contribue. « Outre les séries d’invitations aux projections renouvelées chaque année, la production est considérable : papeterie, brochures institutionnelles, journal d’information, promotion, publicité, objets, kakemonos, signalétique… » Pour répondre à cette profusion de réalisations graphiques, la Scam a fait appel à d’autres graphistes, lesquels sont conduits à se référer à la ligne générale conçue par Catherine Zask. Celle-ci a forgé l’identité visuelle de manifestations comme Les Nuits de la Radio (2001), Les Étoiles de la Scam (2012), L’Œil d’or – Prix du documentaire décerné chaque année à Cannes (2015), le Prix Marguerite Yourcenar (2015)… Elle s’est attachée à offrir chaque fois une facette nouvelle de son talent, dessinant notamment des caractères de titrage originaux.

À partir de 1997, la graphiste conçoit La Lettre de la Scam, périodique d’information et de réflexion pour lequel elle adopte un parti pris purement typographique, alliant les caractères Bauer Bodoni, Frutiger et Block dans la composition des textes. À l’occasion des trente ans de la Scam, en 2011, Astérisque se substitue à La Lettre dans une formule qu’il lui est demandé de mettre au point et de faire vivre. Dorénavant, les visuels contribuent largement au design. La couverture et la double centrale notamment accueillent une photographie pleine page. « Je voulais des portraits “spéciaux“ des invités (auteurs, politiques, etc.). Et pouvoir cadrer très serré, la photographie originale non recadrée étant présentée en vignette. J’ai associé immédiatement Matthieu Raffard au projet. Il avait effectué un stage dans mon atelier et j’ai toujours admiré son travail. Il a réalisé la plupart des portraits. Ses photos possèdent une unité singulière ; elles contribuent fortement à l’identité d’Astérisque. Joachim Werner, mon assistant à l’époque, a été présent dès la création du journal. Des années durant, il a participé à sa réalisation et à son développement. Par la suite, c’est Anne Drezner qui assure un suivi de maquette très abouti. » Catherine Zask et ses assistants ont fourni un véritable travail d’éditing, lisant les contributions, hiérarchisant leur présentation, accomplissant quelques prouesses typographiques en mariant les compositions en caractères Bauer Bodoni, Futura et Walbaum selon la nature des textes. Astérisque est devenu une référence en termes de formule de presse institutionnelle.

Catherine Zask est une graphiste internationalement reconnue. Dès 1997, elle est admise au sein de l’AGI (Alliance graphique internationale), organisation regroupant les meilleurs auteurs au plan mondial et défendant les valeurs et les principes du design graphique. Ses travaux ont été primés dans les meilleurs festivals et manifestations consacrés au design graphique, ils ont bénéficié d’expositions en France et dans le monde et ont intégré des collections prestigieuses, de la BNF au Museum für Gestaltung de Zürich. De nombreuses créations pour la Scam occupent une place notable dans cette reconnaissance. La graphiste a su forger une image d’une grande plénitude pour cette institution. Elle s’amuse elle-même de ce qu’un goodie comme la montre Scam ait pu y contribuer, avec son astérisque judicieusement mis en valeur. Catherine Zask est devenue quelque peu la gardienne de cette image : elle seule sait pourquoi telle création graphique a vu le jour.

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