La Scam a lancé une enquête en ligne en collaboration avec l’Ataa et le Snac qui met en lumière la dégradation des conditions de travail et de rémunération des traductrices et traducteurs de l’audiovisuel. Un article du journaliste Charles Knappek, pour la lettre Astérisque n°65.

On pressentait les difficultés rencontrées par les traductrices et traducteurs de l’audiovisuel. L’étude réalisée à l’automne 2019 par la Scam en collaboration avec l’Ataa et le Snac, auprès de 1 162 membres de la profession les a confirmées à tous les niveaux : bien que diplômée et expérimentée, cette population très majoritairement féminine (trois professionnelles sur quatre), urbaine, souffre de la dégradation régulière de ses conditions de travail et de rémunération. Les résultats de l’enquête rendue publique en juin 2020 mettent ainsi en lumière la vulnérabilité des traductrices et traducteurs en bout de chaîne de la production audiovisuelle. Les modalités mêmes de leur métier favorisent cette fragilité : en tant qu’indépendants exerçant presque toujours exclusivement à leur domicile, ils rencontrent rarement leurs commanditaires, ne signent presque jamais de contrats et jouissent d’une reconnaissance à géométrie variable – il n’est pas rare par exemple que leur nom soit omis des génériques. Dès lors comment s’étonner de la baisse de leur niveau de rémunération ? Celle-ci trouve sa cause principale dans le rapport de force inégal entretenu par les laboratoires face à une main-d’œuvre dont le nombre ne cesse d’augmenter. Les quelques dizaines de jeunes diplômés qui sortent chaque année des écoles de traduction- adaptation n’ont souvent pas d’autre choix que d’accepter des tarifs très bas en début de carrière. Dans ce contexte, le non-respect du tarif syndical apparaît comme la norme pour une écrasante majorité de traductrices et de traducteurs. En doublage télévisuel, seuls 9 % déclarent être payés au tarif syndical recommandé de 30 euros la minute, contre 44 % en deçà de 25 euros la minute. Pour le sous-titrage en exploitation télévisuelle, seulement 5 % déclarent bénéficier du tarif syndical de 3,10 euros le sous-titre. À l’opposé, 31 % gagnent moins d’1 euro au sous-titre et 54 % entre 1 et 2 euros. La situation est équivalente s’agissant de la rémunération au feuillet en voice-over : à peine 3 % déclarent être payés au tarif syndical recommandé de 39,5 euros le feuillet tandis que 40 % gagnent moins de 20 euros le feuillet.
Les jeunes sont particulièrement touchés par la faiblesse des rémunérations : « Je ne connais personne qui pratique le tarif syndical », ironise Madeleine Lombard, jeune traductrice-adaptatrice de 29 ans. Mais l’ancienneté ne préserve pas davantage de l’érosion des revenus : débutants ou chevronnés, les traductrices et traducteurs subissent uniformément la tendance imposée par les laboratoires. Professionnelle expérimentée – elle est dans le métier depuis 1999 –, Hélène Inayetian confirme qu’il faut dans ce contexte « travailler plus » et « dans des délais de plus en plus courts » pour conserver le même niveau de ressources. Son confrère Frédéric Dussoubs, vingtcinq ans de traduction-adaptation au compteur, abonde : « Il y a une quinzaine d’années on vivait correctement de notre activité. Aujourd’hui c’est plus difficile. Ce qui fait l’attrait du métier, en particulier une très grande liberté, est contrebalancé par une insécurité croissante vis-à-vis des laboratoires. » La conséquence est que les traductrices et traducteurs de l’audiovisuel ont tendance à accepter plus de commandes, et donc à augmenter leur temps de travail. Ils sont 79 % à déclarer travailler le week-end et seulement 52 % à s’accorder plus de trois semaines de vacances par an. 18 % se contentent même de deux semaines de congés annuels.

Malgré ces efforts, dont l’impact sur la vie personnelle des personnes concernées n’a pas été quantifié, le niveau moyen de revenus reste modeste pour l’ensemble de la profession. Si la majorité des répondants déclare être rémunérée en droits d’auteur et adhère à ce titre massivement aux sociétés de gestion collective (Scam pour le documentaire, Sacem pour la fiction), une part significative exerce sous le statut de micro-entrepreneur. C’est dans le sous-titrage que cette proportion est la plus élevée (28 %). En cumulant d’éventuels revenus salariés issus d’activités complémentaires, 69 % des traductrices et traducteurs déclarent gagner moins de 40 000 euros nets par an. Ils sont même 30 % à se situer sous la barre des 20 000 euros annuels. La situation est encore moins bonne au regard des seuls droits d’auteur puisque 50 % des répondants en perçoivent pour moins de 20 000 euros annuels. Les mieux lotis sont les spécialistes du doublage, qui affichent des revenus un peu plus élevés que les autres branches de la profession : 16 % gagnent entre 40 000 et 60 000 euros nets par an.

Mais globalement, le revenu moyen reste corrélé à la faible capacité de la profession à négocier ses tarifs et ses modalités de travail : seules 10 % des personnes interrogées affirment ainsi « toujours » négocier leurs tarifs et 11 % voient leurs délais de paiement « toujours » respectés. Il est également très difficile d’imposer une séparation stricte entre les missions traditionnelles de la traduction- adaptation et les missions annexes qui viennent alourdir le travail, sans toujours faire l’objet d’une rémunération spécifique. Quand elles sont à la charge de la traductrice ou du traducteur, les opérations de conformation ne font ainsi « toujours » l’objet d’une rémunération complémentaire que dans 7 % des cas. À l’opposé, 40 % répondent « jamais ».

Dans ce contexte financier précaire, le versement de droits alloués par les sociétés de perception et de répartition – la Scam pour les traductions-adaptations de documentaires et la Sacem pour les sous-titrages et doublages de fictions – constitue une part non négligeable des revenus globaux. Les droits versés par la Scam représentent par exemple entre un quart et la moitié de la rémunération de 12 % des répondants. Il faut néanmoins noter que 28 % n’ont pas répondu à la question, ce qui fausse grandement le résultat. Les entretiens individuels réalisés avec plusieurs traductrices et traducteurs laissent penser que ces droits de diffusion pèsent en réalité bien plus lourd : la plupart des personnes interrogées ont confié qu’ils représentent chaque année les deux tiers du total de leurs ressources. Leur disparition placerait donc la profession dans une situation qui deviendrait vite intenable. Aujourd’hui les principaux commanditaires finaux restent les chaînes de télévision publique (80 %) et privées (77 %), pour le compte desquelles la Scam et la Sacem reversent d’importants droits à la diffusion. Mais ce n’est pas le cas des services de VOD/SVOD, typiquement Netflix, ou des plateformes de partage, également grands pourvoyeurs de travail pour les traductrices et traducteurs : 57 % déclarent que leur travail est diffusé sur des services VOD/SVOD et 49 % sur des plateformes de partage.


La traduction audiovisuelle, une profession dans l’ombre : les chiffres

Les réponses permettent de dresser le portrait-robot d’une population largement féminine (76%), polyvalente et expérimentée, dont la grande majorité perçoit une rémunération en droits d’auteur, mais néanmoins confrontée à la dégradation constante de sa rémunération et de ses conditions de travail.
Et ce, malgré l’explosion de la VOD et de la SVOD en France notamment pendant les mois de confinement.…

DES TARIFS DIFFICILEMENT NÉGOCIABLES

10% seulement des traductrices et traducteurs (doublage, sous-titrage, voice-over) affirment « toujours» négocier leurs tarifs. 31 % le font « parfois » et 28 % déclarent ne pas le faire ! Preuve que le sujet est très sensible : 31 % des personnes interrogées n’ont pas répondu à la question.

DE MAUVAIS USAGES CONTRACTUELS

42 % déclarent ne « jamais » signer un contrat d’auteur et 37 % le faire « parfois ». Il n’y a que 10 % de la profession qui signe toujours un contrat !

DES REVENUS MODESTES

Les tarifs syndicaux recommandés sont très rarement appliqués : seules 5% des personnes les perçoivent en sous-titrage ; 3% en voice-over ; 9% en doublage télévision.
Pour la grande majorité (64% des réponses) les revenus issus de l’activité d’auteur (droits d’auteur, salaires, revenus accessoires) représentent plus de trois quarts des revenus annuels. En additionnant salaires et revenus en droits d’auteur, 39% des traductrices et traducteurs déclarent un revenu annuel net compris entre 20 000 € et 40 000 € et 13% gagnent moins de 13000 € par an.
Et si l’on considère les revenus en droits d’auteur seuls, un tiers des personnes interrogées émarge à moins de 13 000 € par an.

UNE CHARGE DE TRAVAIL EXCESSIVE AU REGARD DES REVENUS

Plus des trois-quarts des traductrices et traducteurs (79 %) indiquent travailler le week-end. À peine plus de la moitié déclare prendre plus de 3 semaines de congés par an (52 %).

Pour conclure cette étude, les portraits de cinq traductrices et traducteurs rendent également compte de la diversité des situations et des profils.

Contacts Presse

Scam – Astrid Lockhart – astrid.lockhart@scam.fr – 06 73 84 98 27
ATAA – Valérie Julia – valerie.julia@club-internet.fr
SNAC – Emmanuel de Rengervé – snac.fr@wanadoo.fr