Dans une tribune parue dans le Journal du Dimanche, 150 documentaristes, journalistes et personnalités du monde culturel ont répondu à l’appel des auteurs et autrices de la Scam pour un audiovisuel public fort, doté des moyens de ses missions.

La peur, ces derniers temps, a gagné du terrain. Beaucoup de chaînes d’information en continu, et pas seulement elles, se sont chargées de la colporter, de l’entretenir. Le spectacle anxiogène est permanent, les mêmes acteurs, spécialistes ou invités donnant leur avis, se relaient chaque jour de plateau en plateau. Soyons prudents, restons chez nous, fuyons les autres, vivons masqués, répètent-ils.

Mais comment réagir, comment résister, comment ne pas céder à nos peurs ?

Comme toujours, en cherchant à comprendre. Comprendre les situations que nous traversons, et plus encore comprendre le monde dans lequel nous vivons. Comprendre ceux qui ne sont pas comme nous ni ne pensent comme nous, comprendre ceux dont nous avons hérité, chercher à comprendre ceux qui nous suivront, c’est-à-dire courir le risque d’être troublés nous-mêmes. Analyser, comparer, imaginer, rêver, ressentir, douter. Douter de ce que l’on nous montre, douter des idées reçues, douter des images toutes faites. Voilà le rôle essentiel, magnifique, des nombreux auteurs et autrices, journalistes, réalisateurs et réalisatrices qui travaillent pour la radio et la télévision publiques. Voilà leur responsabilité et souvent leur passion. Voilà aussi nombre de leurs succès.

L’épreuve du confinement a montré, à la grande surprise de beaucoup d’experts qui prédisaient la disparition du modèle de la télévision et de la radio traditionnelles au profit de tous les nouveaux supports et les nouveaux usages, que les uns n’excluaient pas les autres, que le lien social apporté par l’audiovisuel public était vital, tout comme l’éducation de nos enfants ou la distribution de l’eau, que tous les Français n’étaient pas urbains et trentenaires, qu’il existait même beaucoup d’autres sortes de femmes et d’hommes qui habitent la France.

Encore faut-il que notre radio et notre télévision publiques soient vivantes.
Ne nous méprenons pas, cette tribune est un cri d’amour pour le service public si malmené depuis tant d’années, alors qu’il doit porter ces valeurs de la démocratie que sont la liberté d’expression et de création, le souci du bien commun.

A l’heure de la globalisation des médias, c’est notre souveraineté culturelle qui est menacée. La puissance d’attraction des plateformes fragilise l’audiovisuel public auquel on ne donne pas les moyens de rivaliser. Ne faut-il pas multiplier les programmes spécifiques accessibles sur d’autres canaux pour offrir des lieux d’innovation, d’expérimentation et de renouvellement de la création et de l’expression audiovisuelle ? À quand une grande plateforme de l’audiovisuel public portant notre voix et notre regard ici, et au-delà de nos frontières qui fera la part belle à des créations francophones inédites, et rendra aussi visible l’extraordinaire fonds de programmes existants qui pour la plupart semblent périmés dès qu’ils ont été diffusés une ou deux fois ?

Nous voulons absolument que le documentaire demeure une forme d’expression et de création, nous voulons que le grand-reportage soit renforcé, nous voulons que les programmes d’investigation s’exercent sans tabou et en toute indépendance. Nous voulons aussi que notre audiovisuel se tourne plus encore vers l’Europe et le monde.

Pour donner ce grand élan au service public de l’audiovisuel, nous n’attendons pas de grandes phrases ni de vagues promesses, il faut tracer une ligne claire, donner une vision, et s'en donner les moyens. Davantage de financement et davantage d’œuvres originales. Sans quoi, ce serait signer l’arrêt de mort de cet outil exceptionnel. Il faut d’urgence adopter quelques mesures concrètes :

– Supprimer la publicité qui encourage la course à l’audience et la concurrence entre les chaînes de service public. La nécessité des recettes publicitaires ouvre la porte à l’autocensure et à l’action des lobbys privés. Elle entrave le travail d’enquête comme l’ont montré plusieurs exemples récents, elle ouvre des zones interdites dans les programmes.
– Dans un premier temps, augmenter de quelques euros la contribution audiovisuelle, alors que le gouvernement précédent l’a baissée d’un euro. En contrepartie de cet euro symbolique, l’audiovisuel public a été privé de vingt-huit millions de ressources, alors que son budget était déjà largement sous-estimé depuis des années.
– Puis, à l’avenir, instaurer une contribution audiovisuelle universelle, pérennisée et redevable par tout citoyen, compte tenu de ses moyens. Ceci sans attendre 2023, date à laquelle est annoncée la disparition de la taxe d’habitation avec laquelle la redevance est actuellement jumelée. Est-il normal de faire si peu de cas de l’avenir du service public ?

Depuis des années se succèdent les plans d’économie et de restructuration. Ils aboutissent aujourd’hui à une organisation de plus en plus pyramidale au risque d’un pouvoir de décision hyper concentré. C’est particulièrement redoutable pour les documentaires. Comme ironisaient nos aînés : « Le documentaire fait peur. Il est trop exigeant pour les masses, parait-il. L’école aussi fait peur » … L’heure est venue de redonner du souffle au service public de l’audiovisuel, d’échapper à la standardisation des programmes, de retrouver la liberté et l’audace dans les choix éditoriaux et artistiques.

Sans service de l’audiovisuel public fort, sans diversité des regards et des points de vue, c’est, ni plus ni moins, la démocratie qui est en danger. La démocratie fait-elle peur ?

Les Signataires

Cécile Allegra, Pascal Aubier, Catherine Bernstein, Julie Bertuccelli, Frédéric Biamonti, Lise Blanchet, Robert Bober, Emmanuelle Bonmariage, Philippe Borrel, Pascale Bouhénic, Christophe Bouquet, Nicolas Bourgouin, Sylvain Bourmeau, Frédéric Brunnquell, Hervé Brusini, Dominique Cabrera, François Caillat, Laetitia Carton, Frank Cassenti, Carmen Castillo, Gilles Cayatte, Antoine Chao, Matthieu Chatellier, Zouhair Chebbale, Brigitte Chevet, Laurent Cibien, Catherine Clément, Jérôme Clément-Wilz, Andrea Cohen, Aymeric Colletta, Benoît Cressent, Jean-Noël Cristiani, Didier Cros, Teri Damisch, Eric Deroo, Agnès Desarthe, Céline Destève, Alice Diop, Leïla Djitli, Ariane Doublet, Elizabeth Drévillon, Stéphanie Elbaz, Gilles Elie-Dit-Cosaque, Charles Enderlin, Annie Ernaux, Amalia Escriva, Joël Farges, Marc Faye, Anna Feillou, Colette Fellous, Damien Fritsch, Michaël Gaumnitz, Anne Georget, Marion Gervais, Pierre Goetschel, Geneviève Guicheney, Claude Guisard, Emmanuel Hamon, Brigitte Hansen, Esther Hoffenberg, Nancy Huston, Robin Hunzinger, Danielle Jaeggi, Jean-Noël Jeanneney, Andrés Jarach, Alain Jaubert, Patrick Jeudy, Bruno Joucla, Laurence Jourdan, Valérie Julia, Michèle Kahn, Elisabeth Kapnist, Michel Kaptur, William Karel, Daniel Karlin, Anna-Celia Kendall, Jean-Christophe Klotz, Baudouin Koening, Alain Kruger, Jean Labib, Jérôme Laffont, Pascale Lagnot, Rémi Lainé, Karine Le Bail, Gabriel Le Bomin, Alain Le Gouguec, Jérôme Le Maire, Pierre Lemaitre, Myriam Leroy, Mosco Levi Boucault, François Lévy-Kuentz, Virginie Linhart, Jean-Pierre Luminet, Renaud Maes, Marie Mandy, Bernard Mangiante, Alexis Marant, Florence Martin-Kessler, Florence Mauro, Atisso Medessou, Martin Meissonnier, Camille Ménager, Stéphane Mercurio, Jean-Michel Meurice, Gérard Mordillat, Laëtitia Moreau, Emmanuel Moreau, François Morel, Stan Neumann, Vincent Nguyen, Didier Nion, Alice Odiot, Valérie Osouf, Mariana Otero, Ovidie, Benoît Peeters, Philippe Pouchain, Michaël Prazan, Jérôme Prieur, Tania Rakhmanova, Tancrède Ramonet, Kamal Redouani, Isabelle Rey, Anne Richard, Marie-Monique Robin, Jean-Michel Rodrigo, Françoise Romand, Laurence Rosier, Christian Rosset, Christian Rouaud, Emmanuèle Sandron, Elisabeth Scherrer, Régis Sauder, Pierre Schoeller, Guy Seligmann, Jérôme Sesquin, Claire Simon, Jean-Daniel Simon, Nathalie Skowronek, Denis Sneguirev, Paola Stévenne, Benjamin Stora, Caroline Swysen, Frédéric Tonolli, Cédric Tourbe, Nina Toussaint, Bénédicte Van der Maar, Claude Ventura, Jean-Robert Viallet, Isabelle Wéry, Edouard Zambeaux, Ruth Zylberman