Rétablissement de la SGDL et naissance
Nous abordons l’année 1978. Désormais, les auteurs de l’écrit, de la radio et de l’audiovisuel sont équitablement représentés au comité, chacun y accède selon la légitimité de l’élection. Je me trouve parmi les élus. Le comité décide alors de se doter de trois vice-présidences : une pour l’écrit, une pour la radio, une pour l’audiovisuel. Je suis élu à cette dernière vice-présidence à égalité de voix avec Georges Poisson. Comment ? Au bénéfice de l’âge!… Autre donnée positive, la création de la commission des oeuvres audiovisuelles. Désormais, les auteurs de l’audiovisuel sont admis à se réunir à l’Hôtel de Massa pour définir leurs oeuvres et les classer eux-mêmes. La citadelle a régulièrement porte ouverte et les audiovisuels ont droit de cité dans des lieux bien déterminés. A dire vrai, on croise bien quelques regards rébarbatifs mais ils n’empêchent pas de travailler. Il le faut car la mise en place d’une commission où tout est à créer demandera un effort assidu, acharné. Je pense au moment où j’écris, à deux de nos amis venus parmi les premiers et qui, au fil des années, se montreront les plus constants : Jean-Jacques Bloch et Jean-René Vivet ; mais il faudrait en citer beaucoup d’autres et garder leurs noms en mémoire pour ce qu’ils ont donné de travail : un travail inlassable, dévoué, désintéressé accompagné de débats sans fin pour définir au plus près l’oeuvre audiovisuelle, en établir un juste classement à partir de ce critère primordial de la loi : le degré d’originalité. Je dirais que leur conviction et leur dévouement égalaient notre besoin d’exister. Dans le même temps, Laurent Duvillier a accédé à la fonction de délégué administratif et tout est redevenu transparent. Il a repris en main toute la gestion administrative de la société que Didier Decoin présida avec un souci d’équilibre et d’équité. Reste à rétablir la situation financière et on ne peut y parvenir qu’avec un partage intersocial rééquilibré. Pour donner une idée de la situation d’alors, la SGDL ne pouvait rémunérer la catégorie 1 de l’oeuvre documentaire qu’à 20 % de la catégorie 1 de la fiction. Et encore, à ce taux-là, elle ne parvenait pas à réduire le trou déjà creusé. La SGDL demande alors une nouvelle négociation intersociale. Nous l’obtenons avec l’appui de la Sacem qui a compris que la SGDL s’est redressée. Une équipe de négociateurs est constituée : Didier Decoin, Laurent Duvillier et moi-même. La négociation sera longue et difficile mais, au bout de nombreux mois (une année ou presque), le résultat est acquis. On peut l’apprécier par la même comparaison : désormais, la SGDL pourra rémunérer la catégorie 1 de l’oeuvre documentaire à 40 % de la catégorie 1 de l’oeuvre de fiction. En même temps, elle commencera à résorber (lentement) son trou financier, c’est-à-dire à retrouver ses propres réserves et à rembourser le fonds de pension des auteurs de l’audiovisuel. La victoire étant considérable, il faudra attendre le second semestre de 1981 pour faire s’ouvrir une nouvelle négociation du partage intersocial et atteindre à la parité actuelle : catégorie 1 du documentaire = catégorie 1 de fiction ! Mais, nous ne sommes encore qu’en 1979…
Tout est-il réglé ? Pas encore. Outre que divers ressentiments demeurent au sein du comité entre les tendances opposées, l’équilibre entre auteurs n’est pas totalement satisfaisant. Chacun ressent qu’il faut une rénovation, ne serait-ce que pour répondre à l’évolution des oeuvres et de leur diffusion dont les supports continuent à se multiplier. On apprend alors que le 4 janvier 1978, une nouvelle loi est entrée en application. Que dit-elle ? Que les sociétés qui gèrent des sommes d’importance, comme c’est le cas des sociétés d’auteurs, ne pourront plus demeurer dans le cadre des associations (dites « Loi 1901 »), c’est-à-dire à but non lucratif ; qu’elles devront désormais se constituer en sociétés civiles parce que celles-ci procurent une économie à leurs membres. Les sociétés d’auteurs tombent sous le coup de cette juridiction imprévue laquelle va entraîner des répercussions considérables. En effet, la SGDL est une association dite « Loi 1901 ». C’est à ce titre qu’elle a été reconnue « d’utilité publique » et c’est encore à ce titre que l’Etat lui a concédé un bail emphytéotique qui lui permet d’occuper l’Hôtel de Massa, 99 années durant. Autant dire qu’elle ne pourrait passer sous le régime de société civile sans perdre tous ses avantages. D’autre part, c’est comme « association à but non lucratif » qu’elle a pu accumuler de longue date les legs et fondations qui alimentent ses prix littéraires et ses oeuvres. Le dernier en date, le legs Cluzel, d’un montant considérable, vient de donner naissance à une nouvelle caisse de secours, la CASJTA, etc. Comment également y renoncer ? Le dilemme est posé : ou la SGDL abandonne ses legs, son bail et tous ses autres avantages, ou il lui faut abandonner son rôle de société perceptrice et répartitrice de droits… C’est à ce dernier rôle qu’elle décidera, en fin de compte, de renoncer. Et c’est ainsi qu’à la fin de l’année 1979 et durant toute l’année 1980, certains membres du comité (d’autres préférant se tenir à l’écart) vont jeter les bases d’une société nouvelle qui prendra le nom de Scam. Une société nouvelle, de type « société civile » bien entendu, constituée par collèges d’oeuvres, pour tenir compte cette fois-ci, d’une juste et véritable représentation des auteurs et toute évolution des droits. En 1982, cette société ne sera pas fondée, comme on l’a trop souvent dit, par la SGDL, mais par plusieurs membres du comité qui choisirent en leur nom propre, de participer à cette création. Parmi eux, François Billetdoux dont je tiens tout particulièrement à évoquer le souvenir, en rappelant combien son esprit inventif, prospectif a apporté à la Scam ; ainsi, cette dénomination d’ « auteurs multimedia » qu’on nous envie tant aujourd’hui, c’est à lui que nous la devons. Et voilà : 25 ans ont passé… Un curieux détour de l’histoire par une longue bataille douloureuse et obstinée : des auteurs en place ayant peur des auteurs nouveaux qui arrivent à la société ; un conflit banal (comme il y en a tant chez les hommes) qui aurait pu être évité (comme souvent chez les hommes), en créant une société pour tous, sans attendre une disposition juridique quelconque, produite par un quelconque législateur… Et comme par hasard… Par hasard ? Je n’en suis plus certain. J’y ai repensé souvent avec le recul, dans la perspective des années, et j’ai entrevu une autre image : une marée monte, celle du temps, semblable à celle de la mer, empruntant des méandres et finissant par réduire l’un après l’autre, les îlots qui résistent à sa progression, à l’évolution ? En effet, comment croire qu’on s’y opposera sans être aveugle, sans en venir à céder un jour, après des combats inutiles, fratricides, injustes et injustifiés. Car enfin, cette société pour tous les auteurs, ce sont les auteurs eux-mêmes qui auraient dû la créer les premiers, montrant ainsi qu’ils avaient plus conscience que quiconque de l’évolution des oeuvres et des médias, de cette nouvelle éclosion. La création n’est-elle pas comme la vie, un mouvement qui se transmet et ne s’arrête jamais ? Ainsi, entre 1983 et 1996, la Scam ne cessera-t-elle de grandir, passant de 1330 membres à 12 440 membres, et de 44 millions de francs de droits perçus à plus de 200 millions. Ainsi, en 1997, fallut-il procéder entre la SGDL et la Scam à une « séparation de biens », pour reprendre le mot de Jean-Marie Drot, parce que les deux sociétés n’avaient plus d’activités communes, à l’exception de quelques événements culturels. Ainsi deux ans plus tard, a-t-il fallu procéder à une « séparation de corps » pour reprendre l’expression du même, parce que nos deux sociétés ne disposaient plus d’assez d’espace à l’Hôtel de Massa. Ainsi, début 1999, la Scam en viendra-t-elle à franchir le seuil de « Vélasquez » pour gagner de l’espace, certes, mais aussi pour avoir une image autonome, dans une maison à elle, celle de ses auteurs, où sous un toit neuf elle abritera son indépendance et sa liberté, toutes deux chèrement conquises… poursuivant ainsi, elle-même, à son tour, le chemin de son évolution.
Charles Brabant
auteur, réalisateur,
administrateur de la Scam,
ancien vice-président de la Sgdl,
ancien président de la Scam.