Entretien avec Damien Couvreur, directeur France des séries Netflix. Un article du journaliste Augustin Faure, pour la lettre Astérisque n°64.



AUGUSTIN FAURE — Comment Netflix décide-t-il des modalités de traduction de ses films ? Avez-vous une politique globale visant à couvrir tous les formats sans distinction (sous-titres, voice-over, doublage, etc.) pour laisser le choix à l’abonné, ou décidez-vous au cas par cas, selon les spécificités des programmes ?

DAMIEN COUVREUR — Quelle que soit la forme du contenu, notre approche est toujours la même : être à la fois respectueux de la démarche créative d’un côté, et se demander comment nous pouvons contribuer à maximiser le plaisir de l’expérience des contenus que nous donnons à nos abonnés, de l’autre. Globalement, que ce soient des documentaires, des fictions ou des séries, notre conviction est que les bonnes histoires voyagent partout et peuvent trouver un public au sein des 190 pays où Netflix est présent. Il s’agit donc pour nous de faciliter la rencontre avec des histoires, qui sont souvent très locales, et nous souhaitons que l’expérience de visionnage soit simplifiée par le doublage ou le sous-titrage, tout en étant le plus fidèles possible à toutes les nuances culturelles présentes dans nos contenus locaux. Nous évaluons le potentiel de chaque projet : va-t-il trouver un public en Pologne ou aux États-Unis par exemple ? En fonction de cela, nous envisageons la pertinence, ou non, de doubler ou sous-titrer dans telle ou telle langue. La problématique est toujours de savoir si nous allons faire du voice-over, du doublage intégral ou du sous-titrage, s’il est essentiel pour les créateurs d’entendre la voix des personnes qui s’expriment dans leur langue originale, par exemple. Notre principe, en particulier dans le cas des Netflix Originals, est que le paquet de langues doublées et sous-titrées soit le plus important possible. Nous avons des pratiques assez dynamiques et offensives sur ce sujet. Nous disposons d’au moins trente langues sous-titrées ou doublées. Le chiffre a augmenté depuis nos débuts, et, parmi ces trente langues, il y en a que nous commençons à doubler alors que nous ne le faisions pas jusqu’à présent. Il est important de se rappeler que le service Netflix repose beaucoup sur l’innovation, et je pense que le doublage et le sous-titrage font intégralement partie de cette philosophie. Notre travail en interne est d’analyser les retours d’opinion sur les contenus que nous avons doublés et sous-titrés pour améliorer l’expérience des membres. 


Sur l’ensemble de votre catalogue, quelle est la proportion de films qui ont besoin d’une traduction ?

100%. Nous sommes capables d’analyser à un niveau macro les préférences de nos membres et d’adapter de la sorte les langues et le sous-titrage à leurs pratiques. La stratégie de doublage ou de sous-titrage dépend donc de ces différences selon les territoires. Par exemple, il y a des pays européens comme la France, l’Allemagne, l’Autriche ou l’Italie où le doublage est majoritaire. Et d’autres, comme ceux d’Europe du Nord ou la Suisse, où l’on regarde plus de programmes sous-titrés. Il y a donc moins de pertinence à les doubler. La force de Netflix est de savoir proposer à chaque membre un contenu qui va résonner en lui et qu’il va ainsi avoir envie de regarder. Nous avons cette capacité d’optimiser l’expérience de chacun, et le doublage et le sous-titrage sont des leviers pour cela.


Le sous-titrage est-il systématique pour tout film étranger ?

Nous couvrons tous les titres qui ne sont pas déjà en français avec des sous-titres français. Tous les documentaires publiés en France, qui ne sont pas déjà en français, sont systématiquement localisés en français.


Quel est le processus du choix du traducteur / adaptateur ?

Nous travaillons avec des sociétés de traduction qui gèrent les traducteurs individuels travaillant sur le contenu Netflix.


Quels sont les délais moyens entre le moment où Netflix choisit le catalogue pour l’année et le moment où il lance la production de l’adaptation des films ?

Cela varie énormément d’un contenu à l’autre et cela n’est pas une métrique que nous suivons forcément.


À propos de votre rapport à l’innovation et aux retours d’expériences, comment s’est passée la transition entre l’ancien système Hermès de sous-titrage, très polémique, et la situation actuelle, où vous faites appel à des vendors ? La société VDM est-elle toujours votre principal prestataire en termes de sous-titrage ?

La philosophie est la même dans à peu près tous les secteurs de Netflix : nous avons des équipes internes dont le travail est d’assurer le suivi des projets, pour qu’il y ait de la cohérence et pour maintenir cette idée d’innovation dans les pratiques. Comme la plupart des chaînes de télévision ou des studios de cinéma, nous faisons également appel à des prestataires extérieurs pour suivre les étapes de doublage. Nous parlions d’innovation et d’évolution, et même si ce n’est pas un exemple de documentaire, je le trouve très parlant : nous avons lancé il y a un mois la première série d’horreur française, Marianne. Une innovation assez incroyable pour ce contenu a consisté, pour la version anglaise, à faire appel à un réalisateur de films d’horreur américain, qui a lui-même supervisé le doublage en anglais, afin de conserver une cohérence artistique et que l’expérience soit au plus proche de celle proposée dans la langue originale.


Ce choix de réalisateur a-t-il été fait par Netflix ou par le créateur de la série ?

Il a été fait par notre équipe basée aux États-Unis qui supervise les doublages en langue anglaise. Nous avons choisi pour cela Joe Lynch, réalisateur de Détour Mortel 2, et de Point Blank, une production Netflix mise en ligne en juillet 2019. Mais c’est une belle expérience quand on pense aux passerelles, aux possibilités de créer des collaborations entre les créateurs de plusieurs pays et de pouvoir ainsi retranscrire finement des nuances culturelles. Nous sommes fiers de cette dynamique, qui ne cesse de progresser.


À quel moment le sous-titrage et le doublage entrent-ils dans le traitement de vos films : en amont, ou en fin de course ?

Nous disposons sur Netflix de contenus très différents. Certains que nous obtenons une fois terminés, d’autres que nous commissionnons sur la base d’une idée. Il n’y a pas vraiment de règles. Dans le cas des documentaires, des séries ou des films originaux, qui sont vraiment aujourd’hui le cœur de notre activité, nous savons d’ores et déjà que nous allons les offrir doublés et sous-titrés. La répartition peut évoluer, mais les contenus français sont globalement sous-titrés dans les trente langues dont nous parlions, et doublés dans huit à dix langues. La différence pour le documentaire, c’est qu’il y a une tendance à faire un peu plus de voice-over que de doublage traditionnel, car ce sont les normes, ou du moins la tendance audiovisuelle actuelle. Pour autant, si la voice-over ne convient pas à un membre Netflix cinéphile, il pourra passer en deux clics à la version sous-titrée.


Quelle est la politique de Netflix en matière de rémunération des auteurs et autrices de doublage et de sous-titrage ?

Le doublage et le sous-titrage sont des étapes essentielles pour nous car ce sont les clés de la qualité de l’expérience du visionnage de contenus sur Netflix. Dès lors, vous pensez bien que notre position là-dessus consiste à dire que c’est une expertise, un savoir-faire et qu’il faut trouver un moyen de rémunérer les gens à leur juste valeur, de manière équilibrée. Nous avons une grille tarifaire pour garantir que les traducteurs sont payés de manière appropriée et cohérente pour le travail précieux qu’ils effectuent. Cette grille est créée sur la base de recherches approfondies du secteur et est mise à jour en fonction des besoins.


Netflix a-t-il mis en place des contrats-types pour l’adaptation, le sous-titrage, le voice-over, ou bien ce sont les laboratoires qui sont maîtres en la matière ?

Nous avons créé des guides afin d’aider nos partenaires à comprendre les attentes et les meilleures pratiques. Ces guides sont disponibles en ligne et sont des documents vivants. Les commentaires sur les guides peuvent être donnés directement sur le site Web. Nous surveillons ces feedbacks parmi d’autres signaux et publions des mises à jour périodiquement.


La signature des auteurs de sous-titres est-elle bien toujours présente à la fin des génériques de programmes Netflix ?

Mon expérience d’utilisateur assidu de Netflix me fait dire que oui. Il faudrait s’assurer que c’est bien le cas, mais encore une fois, c’est conforme aux usages de la profession, nous ne sommes pas là pour nous y soustraire. Nous produisons des contenus en France avec des contrats de droit français. Notre point de vue est de respecter les usages en vigueur sur chaque territoire. Nous pouvons toujours ensuite rencontrer au cas par cas des spécificités qui amènent des changements et de l’innovation.

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