Figure historique de la radio, Prix Scam 2015 pour l’ensemble de son oeuvre, Andrew Orr s’est éteint le 17 janvier dernier. Un article du journaliste Hervé Marchon pour la lettre Astérisque n°62.



« D’une seule pièce »

« Andrew Orr est arrivé de nuit à la Maison de la radio. On était en 2009, je l’avais invité à une émission de radio tardive qui parlait de radio en direct. Il m’a dit un peu plus tard que ce soir-là, il avait fait ses cartons à Nova. Il venait de prendre sa retraite et revenait illico à France Culture, qui avait été son autre maison. La boucle était bouclée, et le sentimental pudique qu’il était fut touché par cette coïncidence. »
« Durant l’émission, il n’a pas parlé de lui, mais des autres membres de l’Atelier de création radiophonique, cet espace dont il fut l’une des figures majeures sur France Culture. […]
Andrew me frappait toujours par sa vision du monde des médias, sa « vista ». Il voyait clair, dégageait les faux-semblants, il allait à l’os. Bougon, d’une franchise à toute épreuve, rigoureux et exigeant, punk, poète et veste en tweed. Il était d’une seule pièce, ne comprenant pas que chacun ne pousse pas plus la radio […] vers l’invention, le mieux, le son, la respiration, l’extérieur, l’époque, le renouvellement. » 

Thomas Baumgartner
, journaliste, auteur, France Culture, Radio Nova (extrait du texte publié sur son compte Facebook).

« Notre histoire a été un feu d’artifice créatif »

« On oublie souvent que la plus longue aventure professionnelle d’Andrew a été Nova Prod. Elle a duré vingt-cinq ans. Après France Culture, Radio Nova, Gamma TV, Andrew et moi avons créé notre boîte de production en 1992. On a commencé avec l’habillage d’Arte qui se lançait. Et ça ne s’est plus arrêté. Notre histoire a été un feu d’artifice créatif. Andrew avait quinze idées par jour, il n’arrêtait jamais. C’était fatigant mais génial. Nous avons travaillé en osmose, lui comme patron de la boîte, en première ligne, moi comme femme de l’ombre. Il savait inspirer, produire les étincelles pour allumer le feu de la création. Au fil du temps, il s’est détaché du son, notre passion commune, pour produire des films documentaires. Là encore, il s’est révélé un vrai créateur. Il existe des êtres particuliers, Andrew est de ceux-là. »

Catherine Lagarde-Orr
, directrice artistique, réalisatrice, Nova Prod.

« Il parlait la langue des bruits »

« Pourquoi n’ai-je jamais vraiment parlé avec Andrew de ce que ça lui faisait de vivre dans deux langues ? Je reste là, avec le regret de cette question pourtant évidente, que je ne lui ai pas posée. »
« J’ai trouvé un bout de réponse, ces jours-ci, en réécoutant « Irish stew », émission fondatrice à plus d’un titre : c’est la première qu’Andrew ait faite pour l’Atelier de création radiophonique, et le sujet en est l’Irlande, son pays, qu’il découvrait à cette occasion, à l’âge de vingt-cinq ans, car il avait été élevé ailleurs, en France, en Suisse, en Angleterre.
Émission d’initiation […]. Cette émission est comme Andrew, parfaitement bilingue. Je veux dire que l’on y entend autant, et aussi bien, l’anglais que le français. Pas comme dans ces mixages calamiteux qu’il détestait, où l’on écrase la langue d’origine, sa musique et son émotion, pour mettre très fort la traduction par-dessus. Non, dans « Irish stew », l’anglais a son espace et le français le sien, et cela est obtenu à force de précision, d’idées formelles, d’un travail de dentelle. Plus encore, la traduction française n’est pas juste fonctionnelle, elle ajoute du sens et de l’élan à l’anglais. Par exemple : un homme raconte en anglais un événement de son enfance. Il dit « quand j’avais huit ans… », et la traduction française est dite par un enfant de huit ans. Il y a dans « Irish stew » mille idées aussi brillantes, autant de façons de magnifier la circulation d’une langue à l’autre.
Cette question de l’appartenance à une double langue, Andrew l’aborde en artiste, dans la profusion, dans la création, dans la jubilation […]. »
« En plus de l’anglais et du français, dans « Irish stew » il y a une troisième langue, qu’Andrew parlait couramment, celle des bruits. Bruits de pubs, d’émeutes, de bombes, de rivages, de cris d’enfants jouant au football gaélique, de mouettes, de chevaux de trait, de chants, de voix de poètes, de manifestations, de tueries, de pleurs, de cris de rage, de désespoir, de rires. Chaque bruit dans son temps, dans son sens et dans son espace, chacun traité avec respect, commençant et finissant bien, ce qui est une question de soin, de technique, de talent d’ingénieur du son, et bien sûr aussi d’écriture, de narration, de mise en scène, de sensibilité, d’invention […]. »
« Les cornemuses, les bruits d’ailes, les cris de mouette, tout cela a disparu avec Andrew, dans un très beau, très long et très lent shunt. »

Michèle Cohen
, productrice à France Culture, publicitaire (extrait de son témoignage prononcé lors des obsèques d’Andrew Orr le 24 janvier 2019 à Paris).

« Nova a été sa grande aventure prospective »

« Nous nous sommes beaucoup amusés. À l’Atelier de création radiophonique, nous jouissions d’une immense liberté. Il a su la garder toute sa vie et en faire profiter ceux avec qui il travaillait. Nous avons fondé Radio Nova avec la volonté de faire l’ACR version grand public. Si Nova a été sa grande aventure prospective, le moment le plus plein de son aventure radio c’est l’ACR, comme il me le confiait il y a quelques semaines. Andrew est toujours resté très attaché à ce qu’il avait accompli quand d’autres comme moi s’en détachent et s’en distancient. »

Jean-Marc Fombonne
, producteur et réalisateur de l’ACR, cofondateur de Radio Nova.

« Nous étions des artisans du son »

« Andrew a apporté à l’ACR sa dimension politique. Nous avons abordé des sujets comme la prostitution, la torture au Chili, le conflit irlandais, Lip. C’était courageux à une époque où la radio d’État connaissait la censure. Ensemble, nous avons appris à faire de la radio. C’était intuitif. Andrew a su théoriser et transmettre ce savoir-faire que nous exercions comme des artisans. Il aimait la puissance de la parole, pas seulement celle des mots, de leur sens, mais aussi celle de leur matière, de la voix qui les porte. Sa qualité d’écoute lui permettait d’obtenir la confiance des plus méfiants. Quand nous avons enregistré l’abattage du cochon dans une ferme de l’Aveyron, j’ai été ébahi de le voir plus Aveyronnais que les Aveyronnais. Grâce à lui, le tueur nous a dit des choses inattendues. Andrew avait foi en l’écriture sonore. » 

Michel Creis
, ingénieur du son à France Culture.

« Père radiophonique »

« Ma rencontre avec Andrew Orr a été un choc. Il pensait esthétique sonore tout le temps. Il savait ne pas perdre le sens du son. Andrew a investi le champ de l’habillage radio pour y introduire une esthétique sonore haut de gamme. Je me souviens d’une séance de travail un soir à Nova Prod. Les deux parties de son cerveau s’affrontaient : celle du patron de la boîte de production, pragmatique, raisonné, qui devait répondre aux demandes d’un client, et celle de l’artiste, créatif, délirant, qui avait mille idées. Fascinant. Après que j’ai quitté Nova, on s’est souvent revus. On parlait radio. Andrew est un de mes pères radiophoniques. »

Bruno Carpentier
, délégué à l’antenne de France Inter.

« Comme d’un autre monde »

« Andrew Orr était un personnage singulier, un précurseur. Il était comme d’un autre monde. Dans ce fourretout très égoïste qu’est la radio, il a été très généreux. Quand je suis devenu conseillère de programmes à France Culture, poste de pouvoir solitaire, il a été l’un des rares sur lesquels j’aie pu m’appuyer. Il m’a appris beaucoup. Je l’ai admiré. »


Irène Omélianenko
, documentariste, anciennement conseillère de programmes à France Culture.

« Une élégance d’esprit »

« Andrew Orr était soucieux de l’habillement et de l’habillage. Veste en tweed, il était élégant. Et dès ses débuts à la radio, il a été soucieux de l’habillage sonore de nos productions. II avait aussi une élégance d’esprit : Andrew était fidèle et généreux. Quand nous nous retrouvions, c’était comme si nous nous étions quittés la veille. Il était attentif aux autres. Et cette attention fait beaucoup pour la qualité de ses documentaires. »

Louis-Charles Sirjacq
, producteur à France Culture, auteur de théâtre, scénariste.

« Chercheur de sens »

« Quand je pense à Andrew, je pense aux clichés de l’Irlandais entier, franc, colérique. Et il l’était. Mais également bon vivant, pas snob, respectueux de l’authenticité des expressions quelles qu’elles soient, pas cynique, chercheur de sens dans tout ce qu’il produisait. Visionnaire d’une radio qui puisse raconter le monde en décalé […]. »

Bintou Simporé
, productrice à Radio Nova (extrait de l’émission « Néo Géo », Radio Nova, 27 janvier 2019).

 

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