L'édito de Anne Georget : « Une fenêtre sur les rêves »

À l’heure de l’été toujours riche en festivals plus inventifs les uns que les autres, il est bon de se retrouver au Banquet de La Grasse pour discuter livres, à Saint-Laurent-sous-Coiron un casque sur les oreilles, rallier les photographes à Perpignan, découvrir des documentaires au FID… Haltes chaleureuses, propices à la rencontre avec d’autres auteurs mais aussi avec un public gourmand d’œuvres originales qui peinent, un peu plus chaque année, à trouver leur place à la radio, dans les magazines et à la télévision.
J’en veux pour preuve les films bénéficiaires d’une bourse Brouillon d’un rêve audiovisuelle dont un sur deux trouvait une diffusion à la télé il y a dix ans, un tiers seulement aujourd’hui. Les projets sont pourtant toujours aussi originaux et le comité de sélection toujours aussi exigeant. Mais la grande fenêtre sur le monde que devrait être notre télévision rétrécit et laisse hors champ ces films qui attirent pourtant un public enthousiaste et attentif. Un public qui paie sa redevance lui aussi et est donc en droit d’attendre dans son poste ou sur sa tablette ces œuvres originales qu’on ne voit plus guère que dans les festivals.
Je fais partie de ceux qui espèrent encore de la télévision. Merveilleux medium, qui permet d’atteindre un public large et surtout de toucher des spectateurs parfois malgré eux, happés par nos histoires alors qu’ils n’avaient pas prévu de s’y arrêter. Il ne faut pas renoncer à ces rencontres improbables. Ce serait pure folie politique à l’heure du grand repli sur soi. La télévision publique a un rôle majeur à jouer. Proposer et ne pas seulement répondre à la demande. Tisser du lien avec le voisin, avec le lointain. Partager l’intelligence du cœur et le « je ne sais pas », prendre le temps quand tout urge.
Bien sûr la fréquentation des festivals en constante progression fait chaud au cœur, il est bon de s’y ressourcer et c’est pourquoi la Scam en soutient une soixantaine aux quatre coins de France. Je vois pourtant un danger, une démission, à exposer nos œuvres… uniquement dans ces écrins. « Mais que faire quand on ne veut plus de nous » me demandait un auteur qui depuis quelques années diffuse ses documentaires au cinéma faute de pouvoir les faire exister sur le petit écran. Que faire ? Se battre encore et toujours. C’est un des objectifs de mon mandat que de pousser à la création d’un espace dédié à ces œuvres décalées dans le groupe France Télévisions. Arte a sa « Lucarne », et a promis qu’elle survivra au départ de Luciano Rigolini. Il est stupéfiant que sur quatre chaînes nationales, le groupe public n’offre aucune case où toutes les écritures pourraient trouver leur public. Le service public doit toucher un grand nombre de spectateurs.

Ne soyons pas naïfs, l’audience a son importance, les esprits chagrins et libéraux seraient bien vite là pour dire que cela coûte trop cher par tête de spectateur. Mais s’il doit parler à tous, il n’est pas obligé de le faire pour tous en même temps. Chaque spectateur ne doit-il pas y trouver son compte ? Aujourd’hui les amateurs d’œuvres très singulières sont tentés de remiser leur télé à la cave. Un responsable de chaîne à qui la Scam suggérait la création d’un tel espace a répondu sans rire « j’aime tellement le documentaire que je ne veux pas le reléguer dans une case confidentielle » ! Avec la télé de rattrapage, l’argument ne tient pas, surtout pour ces œuvres souvent à même de créer un écho, un buzz, y compris international. Un autre annonçait avec un ton de cassandre que l’heure était plutôt à « sauver la place du documentaire tout court. » C’est vrai, il y eut de quoi douter de l’intérêt de la nouvelle équipe dirigeante de FTV pour le genre. Il a fallu presque une année pour que Delphine Ernotte Cunci s’exprime publiquement sur le sujet. C’est chose faite*, je ne peux qu’espérer que sa profession de foi inspire les dirigeants des chaînes du groupe. Et nous serons vigilants à ce que ces mots forts prennent corps à l’antenne. Mais n’est-il pas temps pour France Télévisions de parler vraiment à tous ? L’heure de créer une fenêtre sur les rêves ? Le spectateur est-il aussi univoque, lisse et convenu que le prétendent les études ? Parions que Madame et Monsieur Toutlemonde peuvent aussi être devant leur poste à regarder Les Yatzkan**, At(h)ome ou La sociologue et l’ourson. C’est la morale de ma rencontre surprise au Festival des Étoiles avec mon poissonnier, grand amateur de documentaire, dont j’ignorais la passion.

* Dans le Film français : « Le documentaire a une force incroyable pour raconter des histoires, livrer un point de vue et faire écho avec la société. Il y a une grande capacité d’innovation et de création dans le documentaire. »

** Les Yatzkan d’Anna-Célia Kendall, At(h)ome d’Elisabeth Leuvrey projetés lors de la journée Brouillon d’un rêve à Lussas ou La sociologue et l’ourson de Mathias Théry et Etienne Chaillou sorti au cinéma.


Au sommaire de ce numéro :
Portrait de Pierre Wiehn
Palmarès des Etoiles 2016
Palmarès des Prix Scam 2016
Interview de Paul Pauwels
Compte-rendu : Quels horizons pour le documentaire en ligne ?
Interview de Gianfranco Rosi
Interview d'Eryk Rocha
Rapport d'activité 2016
Hors champ : Avenue Vélasquez, une maison pour tous les auteurs
Etat des lieux : Auteur du livre : difficile de vivre de sa plume
www.film-documentaire.fr : nouveau site, nouvelles ambitions

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